Visite de ferme: Adeline Maillard, Cinque Terre (Italie)

« J’ai gagné le respect des agriculteurs de la région »,
Adeline Maillard, vigneronne, Cinque Terre (Italie)

Originaire de la région Parisienne, Adeline Maillard n’a pas grandi dans le secteur agricole. Il y a quatre ans, cette spécialiste de vin et son compagnon ont décidé de tout quitter pour acheter un vignoble dans le nord de l’Italie. Entrevue.

Chez Adeline Maillard, le vin est une affaire de famille. « Mon père est caviste, et j’ai moi-même passé 10 ans à Bordeaux à travailler dans les grands crus classés. Je m’occupais de commercialisation et marketing du vin à Margaux, tandis que mon compagnon était œnologue et maître de chai de grands châteaux viticoles dans le Sauternes », s’introduit-elle.

De la vie citadine à celle de vigneronne
Mais il y a quatre ans, le couple a un coup de cœur pour un vignoble en vente dans la région natale de Riccardo, le compagnon d’Adeline. « Nous avons donc quitté le confort de contrats stables pour nous lancer dans l’aventure de notre propre vignoble, et j’ai échangé met chaussures à talons de citadine française pour des bottes de vigneronne italienne. »

Le couple achète le terrain de 1 hectare aux Cinque Terre, au sein d’un Parc National Unesco. « Le parc est très réputé pour ses paysages entre mer et montagne ainsi que ses petits villages de pêcheurs et viticulteurs et aux maisons colorées. Notre environnement est donc très vert et bleu ! »

Viticulture héroïque
Situé entre mer et montagne, avec un dénivelé de 600 mètres d’altitude, les vieilles vignes de 80 à 130 ans et le chai sont situées sur différents versants des collines du Parc, entre 200 et 500 mètres d’altitude, au cœur du Parc National des Cinque Terre. « Cela implique avoir un bon entraînement sportif, car ici tout se fait à pied. C’est ce que l’on appelle la « viticulture héroïque » : seules quelques vignobles au monde possèdent les caractéristiques de ce label. »

« Cela signifie que le territoire ne nous permet pas d’utiliser de tracteurs, et on ne peut pas arriver dans les vignes en voiture. Et donc, chaque journée de travail, nous devons faire un trekking pour accéder aux lieux. Les vendanges sont très sportives, car le raisin est récolté et porté à la main. »

Le chai ainsi que la maison d’Adeline et de Riccardo se situent dans un tout petit hameau de 7 habitants à l’année où Adeline est la plus jeune. La grande ville la plus proche est à 40 minutes en voiture.

« Cette promiscuité avec la nature renforce notre engagement environnemental, et c’est la raison pour laquelle nous utilisons seulement des produits naturels : pas d’insecticides et pas de désherbant. »

Dans la région, il fait très chaud l’été – jusqu’à 35°C -et les changements climatiques sont malheureusement perceptibles en viticulture. « Nous souhaitons travailler sur les terres les plus en altitude pour bénéficier d’une fraîcheur qui préserve la maturité de nos raisins. »

Apprendre son métier d’agricultrice sur le terrain
Adeline, qui n’avais jamais travaillé comme agricultrice avant l’achat du vignoble, a tout appris de son compagnon. « Chaque jour, je me sens de plus en plus à l’aise avec mes pioches, mes pelles et mes sécateurs ! J’ai même un petit faible pour le travail du sol et l’épandage de fumier », explique-t-elle, en précisant que la terre est nourrie avec du compost et que tout est mis en œuvre pour préserver la biodiversité du domaine.

« Le fait d’avoir débuté comme agricultrice directement en viticulture héroïque est une chance pour moi. Je me rends compte que le gens qui sont habitués à travailler avec des tracteurs et outils mécaniques auraient probablement beaucoup plus de difficultés à s’adapter à la lenteur du travail à la main. Ils subiraient une frustration que je n’ai pas, car pour moi le rythme très lent et à pied de notre viticulture est le seul que j’ai expérimenté. »

A côté de la vigne, le domaine compte également des oliviers avec lesquels Adeline et Riccardo produisent leur huile d’olive méditerranéenne. En plus de tout cela, Adeline est en formation pour devenir apicultrice.

Deux saisons
« Il existe deux types de journée de travail typiques pour moi : une journée de printemps ou d’été, puis une journée d’automne ou d’hiver. »

Au printemps et en été, on se lève très tôt au domaine : entre 4 et 5 heure afin d’être dans le vignoble aux alentours de 5h30 ou 6h. « Il faut commencer à travailler très tôt car le soleil est déjà trop chaud vers 11-12h. » Après avoir pris soin des vignes avec, en fonction de la saison, la coupe de l’herbe, des traitements biodynamiques, l’effeuillage, le labourage ou la récolte des raisins, Adeline et Riccardo rentrent manger à la maison.

« Après cela, nous travaillons au chai et suivons les fermentations et vinifications. Ensuite, nous effectuons les tâches administratives sur l’ordinateur, puis dans l’après-midi nous accueillons nos clients pour les dégustations et ventes de vin. »

En automne, Adeline passe plus de temps dans le chai où il faut suivre les fermentations et laver les barriques, les amphores et les cuves. Les journées commencent alors plus tard, aux alentours de 8h. « L’après-midi, nous nous occupons de mises en bouteilles et de l’expédition des vins. » L’hiver, période où les restaurants sont plus disponibles, il s’agit de développer la partie commerciale des ventes en rencontrant des distributeurs en Italie et à l’export.

Les vigneronnes des Cinque Terre : une rareté
« L’Italie a encore une culture très masculine en agriculture », nous confie-t-elle. Dans les Cinque Terre, les femmes travaillant dans le vignoble sont en minorité : moins de 10 femmes sur une centaine de vignerons. « Une anecdote très représentative : durant ma première année comme agricultrice, les autres hommes téléphonaient mon compagnon pour lui demander s’il était certain de vouloir me laisser travailler dans les vignes et s’il n’avait pas peur que je fasse des dégâts ! »

« Avec le recul, les choses ont beaucoup changé car ils ont vu que je m’implique au quotidien et que je suis dans la vigne tous les jours, qu’il fasse 4 degrés ou 35 degrés, qu’il pleuve ou qu’il vente ! J’ai donc gagné leur respect, et j’entends souvent dire maintenant qu’ils espèrent que leurs filles ou nièces trouvent le goût de reprendre contact avec la nature comme je le fais. »

Selon Adeline, le changement de mentalité ne s’observera qu’avec les nouvelles générations et l’éducation qu’on donnera à nos enfants – filles et garçons. « Je pense qu’il est inutile de vouloir batailler avec les adultes qui ont déjà leur opinion sur le rôle de la femme en agriculture, car après tout, ils ne comptent déjà plus. Ils ne représentent pas le futur. »

Un discours qui ne doit pas seulement changer pour les hommes, mais aussi et surtout pour les femmes, souligne-t-elle. « Bien souvent, les réticences et incompréhensions auxquelles je dois faire face viennent des femmes qui se complaisent dans une cage confortable de la femme au bureau ou à la maison. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, les hommes changent bien plus vite leur vision de la femme en agriculture dès qu’ils nous voient travailler. En revanche, les femmes qui ne sont pas sensible à la nature et à l’environnement agricole ont un regard sur mon métier bien plus sévère que le public masculin. »

L’agriculture, un secteur sous-apprécié
Une difficulté qui frappe Adeline est la vision de l’agriculture par le grand public, qu’elle dit segmentée. « Les gens imaginent que notre vie est faite soit « d’amour et d’eau fraîche », c’est-à-dire idyllique et paradisiaque ; soit de labeur et d’exténuation. La vérité se situe entre les deux, mais l’agriculture est soit idéalisée, soit marginalisée. »

Selon Adeline, le problème se situe dans l’éducation, qui ne propose pas suffisamment de formations agricoles qui inspirent. « Le jeunes ne devraient pas avoir honte de se tourner vers un métier de ferme, et on oppose encore trop souvent de grandes études aux métiers manuels. »

« Je parle plusieurs langes, et j’ai travaillé dans des bureaux pendant plus de dix ans. Trop souvent, je vois les agriculteurs rabaissés ou diminués, comme s’ils ne pouvaient pas travailler avec leur tête mais seulement avec leurs mains. Je souhaite que la société respecte plus les personnes qui les nourrissent. »

Pour Adeline, la cohésion et l’entraide au sein d’une communauté agricole est la plus belle des récompenses, en plus d’une vie au milieu de la nature. « Le simple fait de planter et de voir pousser se que l’on sème est la plus belle des satisfactions au quotidien. »

« Les moments les plus émouvants de l’année se concentrent aux vendanges, car c’est la naissance d’un nouveau millésime. Tous les membres les plus chers de nos familles se retrouvent alors autour de nous et partagent un petit bout de notre aventure. C’est un peu comme organiser un nouveau mariage chaque année ! »

Inspirer les jeunes italiennes
L’avis d’Adeline aux femmes en agriculture ? Qu’elles ne se laissent surtout pas enfermer dans une case ! « On peut tout à fait avoir les mains dans le fumier toute la journée, puis s’habiller et se maquiller pour aller au restaurant, au musée et profiter de la vie citadine de la ville la plus proche à chaque fois qu’on le souhaite ! On peut être multiples, sans avoir à renoncer à aucun aspect de la vie qui nous plait. »

« N’ayez pas peur du regard des autres. Lorsqu’on se sent bien dans ses bottes, les gens le perçoivent et cessent toute malveillance. »

« Mes inspirations de femmes dans l’agriculture et dans la nature me viennent principalement de la culture française via ma mère, que j’ai toujours vu au milieu des plantes et du jardin, ainsi que de la culture américaine et du nord de l’Europe avec les pages que je suis sur Instagram, mais j’en vois encore trop peu en Italie. Du coup, si je parviens à inspirer ne serait-ce qu’une jeune fille dans mon pays d’adoption, j’en serai la plus heureuse ! »

À propos de Cián du Giorgio
Adeline Maillard (33) et son compagnon Riccardo Giorgi ont quitté leur vie citadine dans le secteur du vin à Bordeaux (France) il y a quatre ans pour se lancer dans la viticulture héroïque au cœur du Parc National des Cinque Terre.

En 2018, le couple fonda le domaine « Cián du Giorgi », dialecte local pour « les terrasses de Giorgi ». Au domaine, tout se fait à pied, sans machines ni pesticides, dans le respect de l’équilibre très fragile du territoire.

Curieuse de toutes les facettes de cette agriculture qu’elle a découverte avec le vignoble, il y a quatre ans, Adeline est actuellement en formation d’apicultrice. Ses découvertes et sa vie quotidienne, elle les partage dans son carnet de vie de vigneronne sur son profil Instagram ainsi que celui du domaine, et sur le site de Cián du Giorgi.

Author: Antoon

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